432Hz Chill cosmique
Les musiciens le savent, les autres pas vraiment, mais l’immense majorité de la musique est réglée à une fréquence de 440 Hz. Pour beaucoup, cette norme pourrait n’avoir que peu d’intérêt et pourtant, elle est depuis quelques années le sujet d’une polémique, voire d’une théorie complotiste qui frôle le point Godwin. Existe-t-il vraiment une fréquence naturelle, balayée par les nazis pour contrôler les peuples via la musique? Notre ADN vibre-t-il véritablement au 432 Hz? Une fois démêlé le vrai du faux, que reste-t-il de cette thèse mystico-conspirationniste?
En 2014, invité à discuter avec ses fans suite à son inscription sur Facebook, le regretté Prince n’avait daigné répondre qu’à une seule des milliers de questions posées: elle concernait justement le choix de la fréquence 432 Hz, le «standard absolu» pour le Kid de Minneapolis.
La fréquence pour les nuls
Pour comprendre cet intérêt pour le 432 Hz en lieu et place du 440, encore faut-il comprendre ce qu’est une fréquence. Il s’agit, comme nous l’explique Amaury Cambuzat, le leader du groupe Ulan Bator, «du nombre de cycles complets de vibrations en une seconde. Les sons graves ont une fréquence basse, par exemple entre 16 et 500 hertz, les sons aigus ont une fréquence élevée, par exemple supérieure à 8.000 Hz. L'oreille humaine entend de 20 à 16.000 Hz. Zone utile, car correspondant aux fréquences de la voix humaine et des sons familiers de nos activités: 500 à 3.500 Hz.»
Mais la normalisation de la hauteur des sons (fréquence) ne date que du milieu du XXe siècle. Durant l’Antiquité, la musique était adiastématique, c’est-à-dire qu’on ne s’intéressait pas à reproduire d’une représentation à l’autre un même son de référence. Pour le musicologue Romain Estorc, «il faut attendre le début du XIe siècle de notre ère pour que Gui d’Arezzo, dans son ouvrage Micrologus, aux alentours de 1026, développe la théorie de la solmisation, avec les noms que l’on connaît (do ré mi fa sol la si) et avance l’idée d’une note égale en tout temps à une même hauteur».
Ainsi, au fil du temps, se dessine l’idée de créer une note précise, immuable, sur laquelle s’accorder. Mais quelle fréquence choisir? Cela dépend des instruments, de la nature des matériaux utilisés, et aussi du régionalisme et des époques. Romain Estorc poursuit:
Il y a donc pléthore de fréquences, multitude d’accordements différents et avec la démocratisation de la musique, l’industrialisation de masse des instruments et l’augmentation de l’enseignement va naître l’idée d’uniformiser tout ce petit monde, de lui trouver une sorte de règle acoustique pour ne pas courir au suicide économique qu’aurait provoqué un trop grand nombre de tonalités différentes sur le marché.
Les prémices de cette rationalisation apparaissent en 1884, comme le souligne Amaury Cambuzat, «quand le compositeur Giuseppe Verdi obtient de la commission musicale du gouvernement italien un décret de loi normalisant le diapason à un la à 432 vibrations par seconde. Ce décret est exposé au conservatoire Giuseppe-Verdi de Milan. Il fut approuvé à l’unanimité par la commission des musiciens italiens».
De la normalisation à la numérologie en passant par le nazisme
Grâce à Verdi, le 432 Hz fait donc son apparition comme référence à la fin du XIXe siècle. En 1939, changement de braquet: la Fédération internationale des associations nationales de standardisation, organisme aujourd’hui connu sous le nom d’Organisation internationale de normalisation, décide d’un diapason étalon-mètre à 440 Hz. Cette décision sera entérinée quelques années plus tard, lors d’une conférence internationale à Londres en 1953, malgré les protestations des Italiens et des Français, attachés au la 432 Hz de Verdi. Enfin, en janvier 1975, le diapason la 440 Hz devient une norme (ISO 16:1975), ce qui définit par la suite son utilisation dans tous les conservatoires de musique. La fréquence 440 Hz a donc gagné la bataille institutionnelle, s’érigeant en standard international.
Cette hégémonie, et les dates auxquelles elle s’est solidifiée, n’a pas manqué de faire réagir les conspirationnistes de tout poil. En effet, la promulgation en 1939 du 440 au détriment du 432 a fait penser à un coup d’état musical des nazis –les Allemands avaient très tôt, vers 1700, choisit le 440 Hz. Avec la volonté d’Hitler de rebâtir le grand empire germanique disparu, la musique s’est vue instrumentalisée, devenant un fer de lance de ce désir de grandeur perdue. Peut-être, comme l’indique judicieusement Amaury Cambuzat, «se sont-ils basés sur une affirmation de Platon: si tu veux contrôler le peuple, commence par contrôler sa musique. Les nazis ayant prouvé leur capacité à la récupération et leur obsession de l’imposition de normes (comme ils ont adopté le symbole de la svastika)...». La musique ne serait donc qu’une victime collatérale.
Point de complot international à préférer le 440Hz au 432 donc, mais pourtant les thèses conspirationnistes s’emballent. Avec des calculs que Nostradamus ne renierait pas, certains «spécialistes» s’en donnent à cœur joie sur la Toile. Le la 432Hz serait ainsi «le réglage qui fait vibrer la raison dorée de l’univers PHI et unifie les propriétés de la lumière, du temps, de l’espace, de la matière, de la gravité et du magnétisme avec biologie, du code de l’ADN et de la conscience. Quand nos atomes et ADN commencent à résonner en harmonie avec le schéma en spirale de la nature, notre sens de connexion à la nature est dit être "agrandi". Le nombre 432 est également reflété dans les rapports du Soleil, de la Terre, de la Lune, de la précession des équinoxes, de la Grande Pyramide d’Égypte, Stonehenge, le Sri Yantra et beaucoup d’autres sites sacrés», peut-on lire sur le site Esprits Science Métaphysiques.com. Ce galimatias, qui met sur un pied d’égalité scientifique l’ADN et la conscience, brasse un mysticisme délirant, propose de savants calculs qui prouveraient presque que 432 est l’autre nom de Dieu.
Si des expériences
visuelles ont été menées pour observer comment l’eau ou le sable vibrent différemment selon les deux fréquences, elles ne prouvent rien scientifiquement. Certains chercheurs se sont aperçus que l’eau se
cristallise sous des formes harmonieuses quand elle est soumise à un diapason à 432 Hz alors qu’elle se cristallise, lorsqu’elle reçoit des vibrations à 440 Hz, de manière anarchique et abstraite. Ce constat,
plus esthétique que scientifique et donc soumis à une subjectivité évidente, est encore amoindri par les conditions inconnues des tests, l’humidité et la température modifiant grandement les résultats.
Si l’importance de la fréquence musicale demeure indéniable, le corps humain étant intrinsèquement sensible à son environnement, vouloir y discerner un diapason supérieur à tous est une ineptie. Amaury Cambuzat reste persuadé «qu’aucune de ces fréquences diapason, qu’il s’agisse du 440 Hz ou autres, n'est absolue. Il faudrait moduler et modifier en permanence cette fréquence selon les lieux, les saisons, et tant d’autres facteurs biologiques pour pouvoir nous rapprocher d’une fréquence de "vibration parfaite". Encore une fois, en supposant que cette dernière existe. 432 Hz pourrait devenir la fréquence majoritaire de nos jours mais certainement pas universelle. Pour affirmer une telle théorie, il faudrait nier que tout est en mouvement, en permanente évolution, ne pas tenir compte des peuples qui se basent sur leur mode traditionnel pour chanter et jouer de leurs instruments en rapport direct avec leurs sens, leur culture et ce qui les entoure, et certainement pas sur un diapason normalisé à 432 ou bien à 440 Hz».
Si de nombreux artistes auraient calé leurs fréquences à 432 Hz comme Jim Morrison, Janis Joplin ou John Lennon (de très fortes présomptions pèsent encore sur Imagine), leurs choix ne dérivaient pas d’une obsession pour la pureté, la perfection ou la soi-disant supériorité d’un diapason sur l’autre mais seulement d’une recherche, d’une curiosité artistique qui expérimente et décloisonne les normes pour mieux en embrasser la diversité.
Ursula Michel — 17 septembre 2016 à 16h13 — mis à jour le 17 septembre 2016 à
Grâce à la thèse et au livre sur les tempéraments de l'organiste Pierre-Yves Asselin (Québec), il nous a été possible de vous présenter une approche de ce vaste sujet. Pour plus d'informations, nous indiquons la référence suivante : "Musique et tempérament, théorie et pratique de l'accord à l'ancienne" Pierre-Yves Asselin, préface de Marie-Claire Alain, Editions Jobert Paris, 1984, 2000
Ce qui est présenté ici, permet de comprendre l'importance de la qualité de l'accord des instruments à clavier. Cela peut être généralisé à tous les instruments accordables, en particuliers les cordes.
Notre oreille s'est habituée depuis plus d'un siècle au "tempérament égal", quelque temps après l'avènement du piano : tous les intervalles, quintes (une gamme complète, do à do, renferme 12 notes à partir desquelles on peut former 12 quintes), quartes et tierces étant accordés à la même valeur, toutes les tonalités sont devenues identiques. Jadis, on choisissait l'une ou l'autre, sonnant différemment, pour exprimer toute une palette de sentiments : la joie, la tristesse, la douceur, la tension, etc. Les modulations (passages à une autre tonalité) éloignées de la fondamentale (tonalité de base) étaient impraticables dans la musique ancienne. Nous verrons qu'elles n'étaient pas fortuites aux XVIIème et XVIIIème siècle. En effet, elles annonçaient des "tensions" particulières : l'instrument accordé à l'ancienne peut paraître sonner faux dans certaines tonalités pour des oreilles trop habituées au tempérament égal (dans notre contexte, nous dirions plutôt sonner "différemment" ou "plus durement").
Pour comprendre l'égalité ou l'inégalité d'un "accordage" (tempérament), il est bon de parler du son.
Le son renferme quatre grandes qualités:
- la hauteur
- la durée
- l'intensité
- le timbre.
D'un point de vue pratique, la réalisation des tempéraments ne concerne que la hauteur.
La hauteur est définie en terme de fréquence dont l'unité est le Hertz (Hz) : le LA du diapason moderne international vibre à 440 Hz, soit 440 vibrations par seconde. Jadis il était souvent plus bas : à 415, voire 392, mais, selon certaines recherches, parfois bien plus haut que 440 ! On a même découvert certaines orgues historiques au diapason nettement supérieur à 440 Hz.
La plupart des facteurs de clavecins actuels nous donnent la possibilité de nous adapter à ces différents diapasons en concevant des clavecins dits "transpositeurs" : on peut alors décaler les claviers, les déplacer manuellement par rapport aux cordes, de manière à se trouver en 392, 415 ou 440, ce qui est commode pour la musique d'ensemble selon que les instruments accompagnés par le clavecin sont anciens ou modernes. Cette possibilité de transposition ne manque pas de provoquer un changement de timbre intéressant selon que l'on joue Couperin ou Forqueray… Beaucoup de facteurs de clavecins et d'interprètes estiment qu'une musique telle que celle de François Couperin sonne plus chaudement au diapason LA 392.
Un UT grave joué sur un instrument de musique montre lors d'une écoute attentive qu'il dégage en réalité des "harmoniques" (autres sons annexes) dont les fréquences respectives sont toutes multiples de celle de l'UT fondamental joué. Ces harmoniques constituent le timbre du son musical et existent théoriquement en nombre illimité. Les harmoniques de cet UT grave se répartissent selon un spectre dont voici une représentation sur une portée musicale :
Les intervalles (écart entre deux notes: ex. DO-SOL pour une quinte sur DO) résultent de la superposition de deux sons, donc de deux spectres harmoniques. La perception de la justesse dépend d'une certaine fusion sensorielle des harmoniques communs aux sons superposés (les harmoniques du DO et les harmoniques du SOL dans notre exemple). Dans le cas de l'unisson (DO grave, DO aigüe par exemple), la fusion est parfaite, il y a coïncidence exacte des fréquences des harmoniques des deux notes. Dans le cas d'une quinte, l'intervalle parait juste au niveau sensoriel si le maximum d'harmoniques des deux notes coïncident. Cela est réalisé si le rapport des fréquences vaut 3/2. Dans ces conditions, une harmonique sur trois de la note DO coïncide exactement avec une harmonique de SOL. Accorder équivaut à faire coïncider plus ou moins ces harmoniques communs.
Lorsque la coïncidence des harmoniques de deux sons n'est pas parfaite (donc
le rapport des deux notes de la quinte, légèrement différent du rapport 3/2), apparaît un phénomène d'impulsions périodiques (ondulations du son) couramment appelées "battements". Lorsqu'une
quinte est accordée juste ou pure, l'oreille exercée n'entendra pas de battements. En revanche, lorsque l'accordage recquiert des battements, une oreille non exercée pourra ressentir une impression de
fausseté ("différence" ou "dureté"…).
La quinte, comme la quarte et la tierce, battent lorsqu'elles sont agrandies ou rétrécies. Le principe des tempéraments anciens est
d'accorder "justes" (ou "pures") un certain nombre de quintes, et de faire battre les autres.
Il serait fastidieux de décrire ici tous les tempéraments anciens utilisés. Mais quelques schémas nous aideront à visualiser des différences notables. Observons d'abord le tempérament le plus ancien qui est aussi le plus facile à réaliser par un débutant : le tempérament "Pythagoricien", dans lequel on tente d'accorder toutes les quintes successives justes (donc avec un rapport 3/2 entre les fréquences des notes de la quinte) :
0= Quinte juste
-1 = intervalle baissé d'un "comma" par rapport à la quinte juste
Comme
on le montre sur ce schéma, il est impossible d'accorder 12 quintes pures ou justes sans que la dernière accordée ne se trouve considérablement raccourcie :
Il est aisé de calculer ce "défaut" : Le rapport
des fréquences entre deux notes de même nom consécutives est toujours égal à 2. Au bout de 12 quintes, on sera passé d'un DO à un autre DO situé 7 octaves plus haut. Le rapport des fréquences de
ces deux notes doit donc valoir 27 soit 128 (Exemple : Avec un DO à 260 Hz, on devrait atteindre un DO à 33 280 Hz).
Or, si on multiplie la fréquence du premier DO par 3/2 et qu'on répète cette opération
12 fois, on n'aboutit pas à la fréquence 33 280 Hz, mais à 260x(3/2)12 = 33 734 Hz ! Soit environ 1/9 de ton au dessus du DO prévu, ce qui est parfaitement audible. Une solution, celle de la gamme pythagoricienne, consiste
donc à raccourcir de manière notable la dernière quinte (ou toute autre quinte). On la réduit donc d'un intervalle appelé "comma" ou "comma pythagoricien"
Dans ce tempérament, toutes les quintes sont pures (justes),
sans battement, sauf la dernière qui bat horriblement vite, on la baptisait jadis et pour cette raison : "quinte du loup". Cela exclut l'usage de certaines tonalités dans lesquelles cette quinte apparaît. Elles sonneraient
très faux, voilà pourquoi nous avons dit que le compositeur ne pouvait pas moduler dans des tonalités éloignées. Cela explique que l'on pourrait ressentir dans cette musique une certaine monotonie tonale.
Observons ensuite un tempérament utilisé fréquemment à l'époque de Buxtehude et Bach, le Werkmeister III (1691) :
0= Quinte juste
-1/4 = intervalle baissé d'un quart de "comma" par rapport à la quinte juste
Avec un DO de départ de
Dans ce cas, les tonalités qui sonnent relativement "pures" sont essentiellement FA majeur et SI bémol majeur, ce qui explique que J.S. Bach ne les utilisait pas par hasard lorsque le texte du choral parlait du "Christ né de la Vierge Marie". Par contre les tonalités de SI ou MI mineur sonnent durement et figurent la plupart du temps la Mort. Là encore Bach ne les a pas inopinément choisies dans des cantates telles que BWV 4 "Christ lag in Todesbanden". De même, on rencontre des intervalles dissonants dans des chorals de l'Orgelbüchlein comme BWV 637 "Durch Adams Fall" ou BWV 620 "Christ, der uns selig macht".
Voici un autre exemple de tempérament, le Tartini-Vallotti (milieu de XVIIIème siècle) très prisé actuellement dans la musique d'ensemble car très doux.
0= Quinte juste
-1/6 = intervalle baissé d'un sixième de "comma" par rapport à la quinte juste
Pour en revenir aux instruments transpositeurs vous comprendrez mieux, à présent, qu'après avoir transposé les claviers d'un demi-ton ou d'un ton, l'accordage est à refaire puisque le tempérament initial, s'il était inégal, se trouvera totalement perturbé.
Cependant, Rameau en personne a réclamé, passant pour un original, le tempérament égal ! Tout ceci peut nous suggérer l'idée que l'appellation "Le Clavier bien tempéré" (et non comme certains éditeurs l'ont rebaptisé, Le "clavecin" bien tempéré) devait signifier que Jean-Sébastien Bach a lui aussi souhaité utiliser un accordage très voisin du tempérament égal, puisque bon nombre de ces Préludes et Fugues sont écrits en des tonalités "modernes", avec beaucoup de dièses et bémols à la clé…
La solution adoptée dans l'accord moderne est de diminuer toutes les quintes de manière égale. : en tempérament moderne dit égal, les 12 quintes battent légèrement et de manière égale (elles sont toutes également moins grandes que la quinte juste) comme le montre le schéma ci-dessous :
Cette approche peut sembler fastidieuse au néophyte, mais elle nous paraît indispensable pour comprendre toutes les possibilités d'expression figurative dans le langage musical des anciens.
© 2000, 2003 Jacques Fischer, Hervé Lauret. Révisé 2007. Pour une utilisation quelconque du contenu de cette page, merci d'en demander l'autorisation préalable